28/05/2015

Entretien avec notre Préposé Général, le P. Saverio Cannistrà

P. Saverio CannistràLe 7 mai dernier, le Chapitre Général vous a réélu comme Préposé Général. Au moment de cette élection, quel sentiment avez-vous ressenti ?

Saint Paul dit que les désirs de la chair sont en lutte contre les désirs de l’Esprit. J’ai vécu en peu cette lutte à l’intérieur de moi-même. Je ne cache pas qu’il y avait
en moi le désir de fuir le fardeau, la peur de ne pas avoir les forces suffisantes pour encore six années de service, la tentation me réapproprier ma vie. Mais, en tout
cela, a prévalu une logique élémentaire : si, il y a six années, j’ai dit oui parce que dans le choix des frères, j’y ai vu l’expression de la volonté de Dieu, je ne pouvais pas maintenant me comporter d’une autre manière. Ainsi, j’ai fini par accepter avec une grande paix ce nouvel appel.

Après 6 ans au sein du gouvernement de l'Ordre, j’imagine que vous relever ce défi d'une manière différente qu’il y a six ans. En quoi votre expérience passée peut-elle vous aider ?

Effectivement, je vois diversement le travail qui m’attend. Il s’agit de poursuivre le chemin déjà entrepris, connaissant mieux les difficultés qui se présenteront, mais aussi les motivations qui nous animent en le parcourant.

Il est évident que l’on ne peut faire une évaluation globale de l’Ordre sans tenir compte des caractéristiques de chaque circonscription ; cependant, si vous me le permettez, je vous demanderais de parler de l’Ordre en général. Comment évaluez-vous sa vitalité ?

L’Ordre est vivant et a en soi une richesse et une fécondité dont nous ne sommes peut-être pas vraiment conscients. Je répondrais avec les paroles de Jésus dans l’Évangile de Jean : l’Ordre porte du fruit, mais justement pour cela, il a besoin d’être émondé et cultivé pour porter davantage de fruit.

Dans la vieille Europe, la crise vocationnelle est un défi. Comment le Carmel déchaussé se confronte-t-il à ce défi ?

Il y a naturellement des réactions différentes à cette crise. Il me semble que la réaction la plus saine est de travailler sur ce qui dépend de nous, comme le disait sainte Thérèse : faire le peu qui dépend de nous, ce qui, en réalité, n’est pas si peu, car il s’agit de vivre à fond, dans les conditions du monde d’aujourd’hui, notre vocation de communautés orantes et fraternelles. Dans la mesure dont nous serons capables de faire ce travail sur nous-même, je suis confiant que nous serons aussi capables d’affronter et de dépasser la crise que traverse la vie religieuse dans le monde occidental.

Pour cela, le message des saints carmélitains pourrait sans doute être une aide ?

Oui, notre « actualité », c’est-à-dire notre pertinence pour le monde d’aujourd’hui, dépend, en réalité, justement de la spécificité de notre charisme. La relecture de sainte Thérèse nous a fait découvrir, je crois, que plusieurs de nos problèmes trouvent des réponses dans l’expérience d’une femme qui a vécu il y a cinq siècles. Il s’agit de réponses qui ne vont pas de soi, originales, qui nous obligent à creuser en nous et dans notre manière de vivre en tant qu’individu et en tant que communauté.

Et pourtant, l’Ordre connaît une croissance en d’autres endroits ?

Oui, l’Ordre connaît une croissance vertigineuse spécialement en Afrique et en certaines régions de l’Asie ; en d’autres régions, on note, de toute manière, une bonne tenue et une certaine stabilité.

Et communiquer avec les jeunes est sans doute, un défi. Comment le faire en cette société qui nous sollicite par tant d’informations ?

Je pense que la première chose à faire est d’écouter avec attention les jeunes, les écouter en profondeur, au-delà des premières impressions superficielles que leur manière de parler et de communiquer peut susciter en nous, les plus anciens. Je vois avec clarté que lorsqu’un religieux ou une religieuse a cette capacité « d’empathie », les jeunes le perçoivent et répondent avec beaucoup d’intérêt et d’ouverture.

Changeons de sujet. La relation avec les carmélites déchaussées a occupé quelques journées durant le Chapitre Général. Vous avez dédié plusieurs documents à la vie des moniales durant le dernier sexennat. Quels pas doivent être faits durant le prochain sexennat ?

La présence de nos sœurs moniales au Chapitre durant deux journées a été non seulement un acte de courtoise, mais une rencontre authentique qui a permis un vrai dialogue, dans lequel ont émergé des convergences et des divergences. À la fin, les moniales nous ont invités à continuer ce dialogue, surtout afin de travailler ensemble pour la formation permanente qui est, à mon sens, un des défis les plus importants pour la vie contemplative.

En plus du rapport avec les carmélites déchaussées, le Chapitre a aussi écouté les laïcs. Encore un défi pour le prochain sexennat ?

Nous avons dédié une journée du Chapitre à l’OCDS, avec la présence de quelques membres provenant de diverses nations. La réalité du laïcat carmélitain est très variée. Être membre de l’Ordre séculier a des implications très diverses selon les régions et les cultures. Je crois, cependant, que pour tous, se pose le défi d’une sérieuse prise de responsabilité en tant que membre laïc de la famille du Carmel. Il faut que les laïcs trouvent leur manière originale et spécifique de vivre les diverses dimensions du charisme carmélitain, qui, évidemment, est différente du style propre d’une communauté de frères ou de moniales.

Nous avons échangé précédemment sur la manière de rejoindre les jeunes laïcs. Une question maintenant au sujet de ceux qui sont en formation. Concrètement, quelle est l’importance de l’étape de formation ?

Nous devons insister beaucoup sur la formation humaine et chrétienne si nous ne voulons pas que la formation carmélitaine soit une sorte de revêtement extérieur. Il faut, en un certain sens, trouver la manière carmélitaine thérésienne de former la personne humainement et chrétiennement. Je suis convaincu que dans le patrimoine carmélitain thérésien, il y a des éléments suffisants pour déterminer un processus de maturation au niveau de la connaissance de soi, de la relation avec le Seigneur Jésus, et de la prise en charge des engagements propres de la vie religieuse.

Je n’oublie pas la formation continue. Y aurait-t-il un chemin à parcourir en cette direction ?

Blason Carmel OCDNous devons distinguer entre la formation permanente et l’aggiornamento, la « mise à jour ». Souvent, on ne distingue pas comme il convient entre ces deux concepts. La formation permanente est ce que je préfère nommer « prendre soin de soi-même », de sa propre vocation, de son âme, de son être propre. Le contraire est l’acédie, qui est, étymologiquement, justement cela : le manque de soin. En ce sens, la formation permanente est un engagement personnel qui se réalise jour après jour, dans les occasions que notre expérience de vie ordinaire nous offre (prière, communauté, travail). Autre chose est la « mise à jour », qui implique en engagement d’études, de lectures d’information. Durant le sexennat précédent, nous avons entrepris des initiatives de ce type en organisant des cours de formation biblique et spirituelle à Stella Maris (Haïfa), et, en Inde, des cours pour la formation des formateurs, des animateurs de communautés et des directeurs spirituels. Le Chapitre nous a demandé de continuer avec ces initiatives aussi durant ce sexennat.

Considérons maintenant le Chapitre Général. Dans le document de conclusion, « Il est temps de se mettre en marche », il y a l’invitation à une relecture des Constitutions. En résumé, quel est l’objectif principal de cette relecture ?

Nous avons décidé d’entreprendre la relecture de nos Constitutions pour assurer une continuité au chemin parcouru lors du dernier sexennat avec la lecture des œuvres de sainte Thérèse. Nous ne voulons pas tourner la page. Nous voulons plutôt nous interroger sur « comment devrions-nous être ? », en tant que fils de sainte Thérèse. Et pour cela, la relecture des Constitutions a comme objectif de faire dialoguer notre expérience de vie actuelle avec le modèle qui nous est proposé par les Constitutions. D’un côté, cela signifie examiner notre vie à la lumière des Constitutions ; d’un autre côté, il s’agit de revoir les Constitutions à la lumière des expériences vécues des religieux et des communautés durant les trente ou quarante dernières années. Celles-ci ont été des années de grands changements. Il nous semble que le moment est venu d’essayer de répondre aux nombreuses interrogations que de tels changements nous demandent.

En outre, durant le Chapitre, on a parlé beaucoup des missions ocd. L’esprit missionnaire de sainte Thérèse est vivant. Comment la Maison Généralice orientera-t-elle l’aide aux missions durant les six prochaines années ?

Nous devons travailler à plusieurs niveaux. Avant tout, nous devons mieux définir ce que nous entendons par mission, afin de se sentir tous partie prenante de cet effort missionnaire et d’évangélisation qui fait partie de notre être carme thérésien. Le pape François exhorte avec force toute l’Église à sortir d’elle-même, évitant le risque de la fermeture et de l’autoréférence. Il y a ensuite un problème très concret qui regarde la question économique des nouvelles missions. Je suis heureux que le Chapitre ait fait le choix de la « communion des biens », décidant la constitution d’un fonds d’aide aux missions géré par la Maison Généralice. J’espère qu’ainsi nous pourrons répondre, même si c’est dans une petite mesure, à tant de demandes d’aide que nous recevons.

Un autre aspect important est celui de la communication. Lors de votre intervention sur l’État de l’Ordre, vous avez utilisé de nombreuses fois la parole « communiquer ». Qu’est-ce qui manque en cette dimension et comment pouvons-nous cheminer ensemble pour l’améliorer ?

La communication est une dimension essentielle de la vie humaine et encore plus de la vie communautaire. Quelques fois nous nous faisons une idée une peu spiritualiste de la communauté. Nous parlons de la communion et avec cela nous nous exemptons de l’engagement d’incarner le don de la communion dans l’expérience concrète de la communication. La communication est avant tout celle qui se vit avec les frères que nous entourent. Aujourd’hui, nous risquons de communiquer beaucoup à distance, et peu avec ceux qui sont tout près de nous. Communiquer implique beaucoup de choses : la capacité d’écoute, la capacité de s’exprimer, la confiance en l’autre, l’investissement dans la relation. Toutes ces dimensions sont des valeurs que nous devons mettre au centre si nous voulons vraiment être des frères qui se connaissent et des amis, comme le voulait sainte Thérèse.

Concluons cette entrevue en vous demandant un message pour toute la famille thérésienne.

Je ne trouve pas de meilleur message que ce que nous avons choisi comme titre du document capitulaire : C’est le temps de se mettre en marche. Nous ne pouvons pas rester à l’arrêt, nous ne pouvons pas nous laisser bloquer ni par la peur ni par des fausses sécurités. Nous devons entreprendre un chemin, insérés dans l’Église et le monde d’aujourd’hui, mettant notre confiance et notre espérance non en nous-même, mais dans le Seigneur qui a promis de cheminer avec nous. Il est temps de se mettre en marche, mais sachant que « juntos andemos, Señor » [nous marchons ensemble, Seigneur].
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(Sources : Communicationes N. 292 du 28.5.2015)