19/09/2015

Jubilés d'or et d'argent, 12 septembre 2015

Carmes Déchaux province d'Avignon-Aquitaine
Le 12 septembre dernier, à l'issue de notre retraite provinciale, nous eurent la joie de célébrer le jubilé d'or de notre frère Jean-Phillipe de la Trinité, ainsi que les jubilés d'argent des frères Jean-Fabrice du Christ-Roi, François-Emmanuel du Christ-Roi, Jean de Sainte Marie, Bruno-Joseph de l'Amour de Dieu, Luc-Marie du Coeur Immaculé et Pierre de la Vierge.

Homélie de notre père Provincial, Marie-Philippe Dal Bo, pour la messe d'action de grâces célébrée le 12 septembre 2015 au Broussey (messe votive à Notre-Dame du Mont Carmel, lectures : 1R 19,1-9a.11-16; Ps 91; Lc 1,39-59) :
Carmes Déchaux province d'Avignon-Aquitaine

"Les lectures tracent le portrait des deux grandes figures bibliques que l’on vénère particulièrement au Carmel : Élie, notre père saint Élie, et la Vierge Marie, Reine et Beauté du Carmel, notre Sœur et notre Mère. Ces lectures résument la spiritualité du Carmel, elles tracent aussi un chemin de perfection à la suite du Christ dans l’Ordre du Carmel

La première lecture nous relate la fuite de saint Élie. On aurait pu prendre un passage plus glorieux, comme celui du sacrifice au mont Carmel. Par sa prière, saint Élie fait descendre le feu du ciel qui confirme la vraie foi et le vrai Dieu. Non, le texte choisi est celui où Élie fait l’expérience de la faiblesse. Le chemin de perfection devient aussi un chemin d’imperfection. Élie vient de fuir les menaces de Jézabel qui veut le faire mourir. Dans la peur et l’angoisse, il s’exprime : « Maintenant Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » N’est ce pas l’expérience par laquelle nous passons tous un jour, par laquelle nous devons passer ? Le passage de l’illusion à la réalité ; l’illusion de la toute-puissance, d’un chemin glorieux de sainteté, de vertus conquises à la force du poignet, d’une image (d’une apparence) du religieux qui confine à la perfection. Et un jour, il y a l’expérience de la faiblesse humaine qui prend des détours que l’on avait pas imaginés, lorsque le miroir narcissique se brise sur la réalité de notre fragilité humaine. Une expérience qui reprend les traits de celle de saint Élie : « Je ne vaux pas mieux que mes pères. » C’est peut-être là que se trouve la différence entre 50 ans et 25 ans de profession, entre 25 ans de profession et le noviciat.

Et c’est là aussi que Dieu se manifeste comme le Dieu qui donne la force. C’est l’expérience de saint Élie comme aussi celle de saint Paul qui s’écrie : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » Fort de la force de Dieu, fort de la grâce de Dieu. C’est au cœur de la détresse que Dieu se manifeste comme le Dieu provident qui voit et qui pourvoit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Sans le pain de la route, on ne peut parvenir jusqu’au bout du voyage. C’est le pain de la parole de Dieu et aussi et en même temps le pain de l’eucharistie, des sacrements. Sans cette nourriture, il est impossible de persévérer sur ce chemin de perfection. Le Christ est pour nous ce Pain de la route, il est aussi le Chemin, il est la Perfection, il est aussi le Compagnon de route, il est l’Époux qui nous attend au terme du voyage : « Sans moi vous ne pouvez rien faire dit le Christ. » Cela doit devenir une évidence, une conviction, une certitude, une espérance.
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« Élie se leva, mangea et but. Puis fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. » Jusqu’à cette rencontre intime avec Dieu sur la montagne. Une rencontre qui a lieu non dans le tonnerre, le tremblement de terre, ou le feu, mais dans la brise légère. Bien sûr, chers frères, il ne vous échappe pas le lien qu’ont fait les auteurs du Carmel entre la brise légère et la contemplation, avec l’oraison comme lieu de la rencontre intime avec Dieu.

L’autre figure que souligne l’évangile est la Bienheureuse Vierge Marie. Le chemin de perfection est un chemin marial. La tradition de notre Ordre nous dit que le Carmel est tout marial, il est l’Ordre de la Vierge Marie. Le texte évangélique nous relate la Visitation et le magnificat. C’est un texte qui nous invite à l’allégresse et à la joie, à la joie de Dieu. Marie dans son magnificat fait une relecture de son histoire et de l’histoire d’Israël. Elle contemple l’action de Dieu, sa bonté, sa générosité, sa tendresse, sa bienveillance. Elle contemple l’accomplissement du projet de Dieu dont elle fait partie. Elle contemple sa puissance à l’œuvre dans le monde malgré les puissants, malgré le mal ou mieux, elle constate que la puissance de Dieu se sert du mal pour la réalisation de son projet de salut. Marie exalte la fidélité et la miséricorde de Dieu qui inclut le péché de tous les hommes dans ce projet. Et son esprit tressaille de joie sous l’action de la grâce du Saint-Esprit. C’est cette joie mariale que nous vivons dans ce jubilé. Chers frères, vous pourriez, comme Marie, reprendre chaque épisode de votre vie et y voir la présence amoureuse et cachée de Dieu qui vous accompagne et vous soutient, qui se montre fidèle, et qui se sert de vos infidélités pour vous donner encore plus sa fidélité et sa grâce.

Carmes Déchaux province d'Avignon-AquitaineCe jubilé nous invite à rendre grâce à Dieu pour votre fidélité. Le chemin de perfection est un chemin de fidélité, de détermination. Mais vous le savez, chers frères, car vous en avez fait l’expérience, cette fidélité, elle est bien votre, mais elle vous est donnée par Dieu. Dans ce jubilé, nous fêjubilairesrtons d’abord la fidélité de Dieu. Dieu est fidèle, lui qui vous appelle à la communion, nous rappelait la deuxième lecture, (« Si nous sommes infidèles lui il restera fidèle, car il ne peut se renier lui-même. ») La fidélité dans la vie consacrée n’est pas le résultat de mon ascèse ou de mes efforts, ce n’est pas l’affaire de celui qui veut ou qui court. Votre fidélité est l’œuvre de Dieu, un don de sa miséricorde, une grâce particulière de l’Esprit-Saint. Car c’est bien Dieu qui vous donne la grâce d’être fidèle à sa fidélité. C’est Dieu qui vous a appelé et qui vous a donné de tenir debout et qui vous dit aujourd’hui, « lève-toi ma bien-aimée, viens. »

C’est Dieu, et toujours Dieu, qui vous donne la grâce de vivre les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance. Le chemin de perfection est un chemin théologal. Tous les chrétiens sont invités à vivre ces conseils, écrivait saint François de Sales, mais certains sont appelés à le vivre d’une manière particulière. La vie consacrée se définit comme la suite du Christ dans la profession de ces conseils évangéliques. Ces vœux sont impossibles à vivre et à réaliser sans l’assistance de l’Esprit-Saint. Mais en même temps il nous revient de les accueillir et de les vivre sans découragement. C’est par les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance, vécues dans les vertus théologales, que Dieu nous configure au Christ pauvre, chaste et obéissant au Père. Si nous nous arrêtons en chemin, si nous commençons à faire le décompte de nos qualités et vertus, si nous refusons de confirmer l’appel que Dieu nous a donné, alors nous risquons de sombrer dans le découragement défaitiste ou dans l’aveuglement de l’autosuffisance.

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Le chemin de perfection est un chemin difficile et pénible. Car la grâce n’enlève pas la pénibilité. Et la pénibilité est en même temps le lieu de la vérification, non seulement pour les vœux mais aussi et peut-être plus encore pourjubilairesr la vie fraternelle. Permettez-moi de retracer cette expérience de vie fraternelle en prenant quelques portraits animaliers. Il y a le frère hérisson, si vous vous approchez trop prés de lui ,vous risquez de vous faire piquer. Il y a le frère bouledogue qui aboie et qui mord tout ce qui n’est pas conforme à ses goûts. Il y a le frère hippopotame, et il y a en beaucoup en communauté, lorsqu’il marche dans le couloir, les murs de la cellule se mettent à trembler. Le frère fourmi qui entasse en cellule tout ce qui peut le sécuriser, et le frère cigale qui chante tout l’été mais jamais au couvent. Le frère ours qui porte bien son nom et le frère anguille insaisissable. C’est un vrai zoo carmélitain.

Pénibilité, mais aussi et en même temps charité fraternelle. On aimerait avoir de grands mouvements d’amour extatique, des blessures d’amour ou des vols de l’esprit, mais la charité consiste le plus souvent à se supporter mutuellement. C’est le mot de saint Paul dans l’épître aux Éphésiens : « en toute humilité, douceur et patience, supportez vous les uns les autres avec amour. » Loin de moi la pensée de vouloir dénigrer la vie fraternelle. Car si elle est parfois le lieu de la pénibilité, elle est surtout en vérité le lieu de la charité, du don de soi.
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Finalement, le chemin de perfection est un chemin d’offrande et d’abandon confiant. Permettez-moi de conclure avec une citation de saint Paul dans l’épître aux Romains qui nous invite à nous offrir à Dieu en sacrifices saints capables de plaire à Dieu : « c’est là pour vous le culte spirituel que vous avez à rendre. » Cette offrande est celle du baptême. La vie consacrée prolonge et approfondit en quelque sorte cette offrande baptismale. Elle rejoint l’offrande du Christ, elle rejoint le Oui du Christ (sur la Croix) qui n’a été que Oui. Puissiez-vous renouveler le Oui de votre profession dans l’offrande que le Christ fait de lui-même au Père, et qu’il réalise en chaque eucharistie pour la gloire de Dieu et le salut du monde ?

Chers frères jubilaires, ce que l'on demande à des serviteurs, c'est que chacun soit trouvé fidèle. Dès maintenant, nous pouvons célébrer dans la joie cette fidélité de Dieu, et laisser Dieu nous rendre de plus plus en fidèle à sa fidélité. Amen !"
Jubilés or et argent

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